Face à l’absence d’une véritable politique sportive, et au manque d’encadrement du football national de jeunes, les académies privées représentent aujourd’hui un espoir pour exploiter le vivier congolais. C’est avec cet objectif d’offrir une formation d’excellence aux jeunes talents que Joe Lubala a fondé l’Espérance Academy, qu’il a lancé il y a deux ans à Kinshasa. Et il nous le confirme : de très nombreux talents sont laissés à l’abandon en RDC, chaque année. Mais comme l’indique le nom de son académie, il ne perd pas espoir.
Bonjour Joe, comment vas-tu ?
Bonjour Leopardsfoot, je vais très bien, et l’Académie aussi !
L’EFA continue sur sa belle lancée ! Peux-tu nous faire un point sur la situation de vos équipes respectives ?
Nous en sommes aux trois quarts de la saison et nos équipes remplissent globalement les objectifs que l’on s’était fixés. Nos U15 sont premiers après 17 journées en Ligue de Kinshasa. Chez nos U17, nous avons concédé une seule défaite et trois nuls en 25 journées. On a également la satisfaction d’avoir décroché une victoire face à notre rival, Ujana.
Chez nos séniors, on se dirige vers la montée et si Dieu le veut, nous serons champions car nous sommes deuxièmes avec un seul point de retard. En revanche, on a plus de difficultés en Linafoot, où nous sommes septièmes sur dix pour l’instant. Mais c’est l’apprentissage ! On va relever la pente.
Tu vises une formation d’excellence pour tes joueurs. Mais où réside la principale différence entre une formation « classique » et une formation d’excellence ?
Il y a une grande différence. Si on vise l’excellence, on ne se limite pas à former un joueur. On fait de notre mieux pour qu’il puisse trouver un club et lancer sa carrière après notre formation. On s’attarde vraiment sur chaque détail, mental ou physique, pour qu’il puisse appréhender au mieux une future carrière professionnelle, sur et en dehors du terrain. Et on travaille dur !
On rappelle que tu as été formé à Ujana, avant de partir étudier en Inde. C’est un parcours singulier ! Ou as-tu puisé tes influences en tant qu’entraîneur ?
En effet, j’y suis resté de mes huit ans jusqu’à ce que je parte pour mes études supérieures. Aujourd’hui, c’est notre rival mais je suis moi-même un produit d’Ujana ! (rires). Pour ce qui est des influences, je dirais qu’au niveau de la discipline tactique et la rigueur du travail, je m’inspire surtout de Pep Guardiola et d’Antonio Conte. Ce sont des gars qui ne s’arrêtent pas de bosser, et qui ont toujours la motivation. Et les résultats suivent.
A plus long terme, l’objectif de l’EFA est-il de devenir l’académie satellite d’un club européen, comme Génération Foot (Sénégal) avec le FC Metz, par exemple ?
Oui, je penses que nous en avons tout à fait les moyens et les capacités. C’est une belle perspective de développement. Il est vrai que Génération Foot a sorti des joueurs tels que Sadio Mané, Papiss Cissé et Ismaïla Sarr. Et le Congo regorge aussi de talents purs, mais qui attendent juste une formation d’élite pour briller aux yeux du monde.
Toi qui a un peu voyagé et qui a observé des jeunes jouer ailleurs… tu confirmes qu’il y a un talent particulier au Congo ?
Je vais vous raconter une anecdote. Alors que je travaillais dans une académie réputée à l’étranger, nous avons passé huit semaines à faire intégrer correctement aux U13 le contrôle et la passe. Quelque temps après, alors que je suis rentré à Kinshasa, et je vois dans la rue un gamin du même âge qui jouait au foot avec ses copains. Et faire, avec une grande facilité, une transversale d’un bout à l’autre du terrain, de l’extérieur du pied. Je m’approche de lui et lui demande comment il a appris à le faire, à son âge. Il me répond qu’il l’a vu à la télé…
Ce genre d’exemple, parmi d’autres, prouve à quel point ce pays regorge de talents bruts. La seule chose qui leur manque, c’est un encadrement adéquat.
En effet, quand on pense que les Léopards vont rater la prochaine CAN malgré ce vivier… c’est qu’il y a bien quelque chose qui cloche dès la formation des joueurs.
Et oui… c’est regrettable qu’une si grande nation du football africain manque un tournoi à 24 équipes, avec les talents que nous avons. D’un oeil sportif, on constate qu’il y a un sérieux souci dans la formation et l’encadrement du football au pays. Les jeunes n’ont pas de compétitions régulières de niveau adéquat pour leur permettre de se développer, et c’est dramatique.
Surtout que les Léopards A ne sont pas les seuls… les U20 ont également manqué la CAN U20, sans même avoir l’occasion de disputer les éliminatoires. Cette négligence répétée de nos équipes de jeunes ne risquent pas de décourager nos jeunes talents ?
Bien sûr que si, elle décourage nos jeunes. Jouer en équipe nationale représente un accomplissement, et une grande réussite dans leur carrière. C’est souvent une grande source de motivation pour eux, et ça les motive à bosser encore plus dur. Donc si ils savent qu’il n’y a rien au bout, c’est compliqué…
C’est triste de voir, chaque année, des jeunes abandonner ce sport parce qu’il n y a peut-être pas d’issue pour eux dans le foot au Congo. Chaque année, des milliers de talents sont gâchés, alors que dans un cadre un peu plus structuré, ils auraient pu faire carrière. Le manque de politique sportive du pays décourage énormément de jeunes qui ne se voient pas subvenir à leurs besoins, même en réussissant dans le foot. Il est encore trop perçu comme un loisir, et c’est de plus en plus rare de voir des jeunes réussir dans ce domaine.
Aujourd’hui, de quoi le football de jeunes au Congo a-t-il besoin en priorité pour enrayer ce gâchis ?
D’une vraie politique sportive, d’un suivi de la part du gouvernement et d’une meilleure structure au sein de l’organe du football congolais. Il faut impérativement organiser des compétitions régulières à tout les niveaux, et faire un suivi de ceux qui prestent bien.
La RDC a récemment été choisie comme projet pilote pour la FIFA pour le relancer le football scolaire. Ce genre d’initiative peut faire évoluer la situation ?
Oui, parce que c’est l’un des secteurs où l’on peut repérer à la racine, et suivre ceux qui pourront s’illustrer.
Enfin, malgré ces constats peu flatteurs… restes-tu optimiste pour l’avenir du football congolais ?
Oui je reste optimiste. En soi, nous avons besoin de structurer les choses à plusieurs échelles, placer les bonnes bases et se mettre à travailler dur. Les choses peuvent aller vite. En peu de temps, nous pourrons alors bénéficier des fruits du talent Congolais.