Ces 10 priorités pour relever le football congolais

Par Muko
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Inutile de se voiler la face : le football congolais va mal. Léopards A absents de la prochaine CAN, locaux éliminés en quarts de finale du CHAN, clubs éliminés en phases de poules de la Ligue des Champions, équipes de jeunes laissées à l’abandon pour la énième fois… tous les voyants sont au rouge.

Alors que le président de la Fédération a annoncé qu’il ne serait pas candidat à sa propre succession en décembre, qui  deviendra le maçon de cet immense chantier ? Car le successeur de Constant Omari aura de nombreux défis à relever. Notamment les dix points suivants. 

1) Mettre les équipes de jeunes au premier plan

Quand parviendrons-nous à le comprendre ? Une politique d’équipes de jeunes structurée (des U16 aux U23) est une priorité ABSOLUE pour exploiter le vivier congolais, et bâtir une sélection soudée et compétitive à long terme. Malheureusement, la RDC n’a participé qu’à deux CAN espoirs dans son histoire (CAN U20 1989 et 2013) et aucune Coupe du Monde, faute d’organisation nécessaire. Dans le cas d’un pays en plein coeur de l’Afrique, qui frôle les 100 millions d’habitants, avec une population jeune et passionnée de foot, c’est lunaire. Pour espérer réveiller le football congolais, il serait grand temps d’en prendre conscience. Et d’agir.

2) Adopter une politique claire pour les binationaux

Beaucoup de fans espèrent encore voir Aaron Wan-Bissaka avec la RDC
Photo : Manchester United

Aux quatre coins de l’Europe, et dans les cinq « grands championnats », de talentueux jeunes joueurs d’origine congolaise poussent les portes de l’équipe première de leur club chaque saison, tandis que d’autres, déjà confirmés, sont toujours éligibles pour leur pays d’origine. Ce vivier inédit représente une immense opportunité pour les Léopards. En attendant de développer les infrastructures et la formation nécessaires pour exploiter correctement les talents locaux et rehausser le niveau du championnat, les joueurs évoluant en Europe doivent composer l’ossature majeure de la sélection. Qu’ils soient des « produits locaux » (Mbemba, Bope, Meschack…) ou des binationaux (Bakambu, Kakuta, Tisserand). Ce modèle, appliqué dans chaque sélection du top 5 africain actuel prouve son efficacité, et est la solution à adopter en attendant que notre formation locale atteigne un meilleur niveau.

Pour attirer les talents d’origine congolaise, il est impératif de créer une cellule à la Fédération exclusivement dédiée à convaincre les binationaux. Si elle est composée de personnes compétentes et volontaires, ayant une connaissance des deux environnements (africain et occidental) afin d’exposer un plan clair, précis et ambitieux aux joueurs et à leur famille, la RDC pourrait augmenter ses chances d’attirer des talents. 

3) Simplifier les procédures de naturalisation

Alors qu’ils ont décidé d’opter pour la RDC il y a plus d’un an, Yoane Wissa, Gédéon Kalulu et Omenuke Mfulu n’étaient toujours pas éligibles pour les Léopards au moment de la double confrontation avec l’Angola, en novembre dernier. Pourtant capitaine des Léopards U20 au Tournoi de Toulon 2013 (qui n’est pas un tournoi FIFA), le dernier cité n’avait toujours pas son passeport congolais en 2020. Les procédures administratives peuvent prendre du temps, certes. Surtout lorsqu’un joueur a déjà joué pour une autre sélection en équipes de jeunes. Mais est-ce normal d’attendre aussi longtemps ?

Regardons ce qui se passe ailleurs. Sébastien Haller (Ajax), dont peu d’ivoiriens savaient même qu’il était originaire du pays, faisait rapidement ses débuts après avoir opté pour la Selephanto. Son but face à Madagascar pour sa première sélection à beaucoup contribué à la qualification. Idem pour Aboubakar Kamara (Dijon), qui a envoyé la Mauritanie à la CAN dès sa deuxième sélection, face à la Centrafrique. Au cours de cette trêve, Fodé Ballo-Touré (Monaco) et Abdou Diallo (PSG) ont tous les deux effectué leurs débuts avec le Sénégal. Et la RDC dans tout ça ? Des délais d’attente qui prennent des mois, voire plus d’un an… Mais un athlète professionnel volontaire pour défendre l’honneur de la patrie de ses ancêtres ne mérite-t-il pas une exception au niveau administratif ? En RD Congo, le football incarne des enjeux qui dépassent le terrain vert. Dans ce cadre, une procédure d’accélération des démarches pour ces joueurs serait la bienvenue. 

4) Mettre un terme au gâchis du vivier local

Et les talents locaux, dans tout ça ? Avec plus de 90 millions d’habitants férus de football, la RDC possède l’un des plus gros viviers du continent africain. Malheureusement, l’absence d’infrastructures qualifiées à travers le territoire, de compétitions régionales pour extraire le potentiel de chaque province, et de formations structurées sabotent notre football local. En termes d’organisation, la Linafoot a fait des progrès ces deux dernières années, mais qui n’empêchent pas le déclin sportif de nos clubs. Depuis 2015 et la victoire de Mazembe, aucun club congolais n’est parvenu jusqu’en finale d’une coupe continentale. 

Les succès du TP Mazembe et la belle génération de l’AS Vita en 2014 ont été l’arbre qui cache la forêt cette dernière décennie. Les clubs congolais manquent considérablement de moyens, et n’affichent pas un modèle économique clairement défini pour se développer. Au Sénégal, l’académie « Génération Foot » a affirmé son statut d’incubateur de talents ces dernières années, en formant Sadio Mané, Ismaila Sarr, Habib Diallo ou Ibrahima Niane parmi d’autres. Idem pour Diambars (Idrissa Gueye, Kara Mbodj…) au pays de la Téranga. En Côte d’Ivoire et au Mali, les « JMG Académies » ont formé de nombreux joueurs des deux équipes nationales respectives. La RDC ne pourrait-elle pas s’en inspirer, et enfin exploiter ses talents locaux ? 

Dans ce contexte compliqué, il est nécessaire d’encourager les initiatives privées, qui représentent des motifs d’espoir comme l’Espérance Academy à Kinshasa. L’académie kinoise se bat pour offrir une formation de qualité aux jeunes talents locaux depuis sa création il y a deux ans. L’interview de son fondateur, Joe Lubala, est disponible ici : https://www.leopardsfoot.com/joe-lubala-faire-de-lefa-une-des-meilleures-academies-du-continent/.

5) Doter le pays d’infrastructures aux normes

L’état du Stade Lumumba (désormais en travaux) est à l’image de nombreux infrastructures sportives dans le pays.

La pelouse du Stade des Martyrs est une polémique qui ne fait qu’enfler avec les années. Il est vrai que jouer sur un synthétique quatrième génération, usé par la Linafoot, l’EPFKIN et les rencontres de l’équipe nationale depuis 2008 est loin d’être propice au succès. Aujourd’hui, le troisième stade du continent est un véritable « tapis » qui favorise les blessures à chaque chute et empêche de développer correctement le jeu. L’arène de Lingwala doit donc être érigée en dossier ultra-prioritaire. En attendant, les Léopards pourraient, pourquoi pas, disputer leurs matchs à domicile à Lubumbashi, ou le synthétique du Stade Mazembe correspond davantage aux normes de la CAF.

Cependant, le problème des infrastructures au Congo est loin de se limiter à l’antre de Kamanyola. En septembre dernier, nous avions consacré cet article au problèmes des infrastructures en RDC. Et comme on peut s’en douter, rien n’a changé en six mois ! 

6) Une équipe type

Vous rappelez-vous la dernière fois qu’une composition des Léopards correspondait à la liste initiale publiée par le sélectionneur ? Non ? On ne peut pas vous en vouloir, ça se compte en années…

Evidemment, les aléas, notamment les blessures, peuvent arriver. Chez les Léopards comme partout ailleurs. Mais la RDC donne l’impression de constamment les subir, sans jamais avoir su les anticiper. Entre problèmes administratifs, blessures réelles ou diplomatiques, refus des clubs, brouilles avec la Fédération… les Léopards ne sont jamais au complet. Cela se répercute sur l’équipe, qui éprouve toutes les peines du monde à installer un onze type ces dernières années. Désormais, avant qu’une liste soit publiée, il serait nécessaire que tous les voyants soient au vert.

Enfin, le manque de communication sur les absences de certains joueurs n’aide pas. Souvent, il est difficile de connaitre avec exactitude les raisons des absences. Les supporters mériteraient d’y voir plus clair, surtout lorsqu’il s’agit de matchs officiels. 

7) Des grilles de primes transparentes

Que le staff technique soit local ou européen, la grille salariale doit être transparente et équivalente. Il faut sécuriser les staff techniques avec des contrats. En cas de match gagné, nul ou perdu, les primes doivent être connues par avance et non discutée comme une rançon au début de chaque compétition. Au-delà du simple versement d’argent, ce problème impacte directement le moral et la motivation des troupes, avec des incidences directes sur le terrain. 

8) Un plan de développement 

De manière générale, le football congolais apparaît comme naviguant à vue, sans aucun plan défini. Et l’absence de « politique sportive » du pays, qui a souvent été évoquée dernièrement, ne peut pas servir d’excuse. Pour aider les Fédérations dans les projets de développement, indépendamment des gouvernements, la FIFA alloue régulièrement des sommes, parfois importantes.

En conséquence, il est tout à fait possible de bâtir un football compétitif. Madagascar, qui a éliminé les Léopards à la CAN 2019 avec plusieurs joueurs amateurs et sans le moindre centre de formation dans le pays a-t-il une politique sportive drastiquement plus développée qu’en RDC ? Idem pour les Comores, qualifiées pour la première fois après des années de travail acharné pour monter une équipe solide. Ou encore la Mauritanie, qui va participer à sa deuxième phase finale de CAN consécutive après des décennies passées au ban du football continental. Non, ces différentes Fédérations n’ont pas bénéficié de moyens illimités. Mais de la volonté, et un PLAN. 

En RDC, tant que la tête ne va pas, les pieds auront du mal à courir… 

9) Une meilleure organisation 

En conférence de presse le lendemain de la défaite éliminatoire au Gabon, Marcel Tisserand dénonçait les conditions de la préparation du match face à  : « On arrive sur place à une heure du matin pour jouer à 17 heures. C’est inadmissible ! On ne peut pas préparer un match de haut niveau tout en arrivant sur le lieu le même jour. » 

Eh oui, les joueurs ne sont pas des machines… pour préparer une rencontre de haut niveau dans les bonnes conditions, deux entraînements – au moins – sont nécessaires au préalable. Et pour exploiter au mieux leurs capacité physiques, une nuit pleine doit être respectée avant le match.  Mais cette trêve l’a tristement prouvé : on en est loin ! 

10) Tirer tous dans le même sens

Notre football ne pourra avancer que si tout le monde est sur la même longueur d’ondes, et tire dans le même sens. Le gouvernement, la Fédération, le staff technique et les joueurs. Chacun, dans son rôle individuel, contribuera à la réussite collective.

Un exemple ? La dernière trêve internationale, qui, on le sait a été perturbée par le COVID. Mais cela n’a pas empêché certaines Fédérations, ni certains joueurs, d’aller au forcing avec leurs clubs pour rejoindre leur sélection dans ce contexte crucial. Par exemple, le sélectionneur algérien Djamel Belmadi se félicitait qu’Islam Slimani (Lyon) « n’ait pas eu peur de Jean-Michel Aulas » et ait fait le forceps pour rejoindre sa sélection, pourtant déjà qualifiée pour la CAN. Idem pour les Comoriens, qui allaient chercher une qualification historique avec la majorité de leurs joueurs. En Guinée, on a vu Naby Keita mettre à disposition son jet privé pour trois de ses coéquipiers. Et malgré le contexte, nos adversaires gabonais disposaient de leur équipe type pour aller au combat. Malheureusement, les supporters congolais n’ont pas eu droit à cela.

 

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