Sponsoring avec Monaco, Milan et Barcelone : stratégie d’avenir ou gaspillage d’argent pour la RDC ?

Par Muko
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Le Congo sur le maillot du Barça. Qui n’en a pas rêvé ?

A travers trois partenariats conclus par les Ministères des Sports et du Tourisme, la RD Congo s’offrira une promotion par trois clubs européens de prestige : AS Monaco, Milan AC et FC Barcelone. Avec près de 90 millions d’euros investis sur quatre ans, le pays va énormément dépenser. Mais cette stratégie est-elle pertinente dans le contexte actuel du football congolais ?

Le sponsoring sportif, c’est quoi ?

L’Azerbaïdjan avait sponsorisé l’Atlético de Madrid en 2014-2015.
Photo : Marca

Le sport, et particulièrement le football, est un levier reconnu de puissance douce (soft power). En sponsorisant des clubs européens, des pays cherchent à promouvoir leur image, attirer des investissements ou encore développer leur tourisme. Certains pays utilisent leurs compagnies aériennes nationales pour en faire la promotion (Qatar Airways, Emirates…). D’autres promeuvent directement le pays en question via un slogan touristique sur le maillot des clubs, comme l’Azerbaïdjan avec l’Atlético Madrid par le passé et aujourd’hui le Rwanda avec le PSG et Arsenal.

La RDC souhaite s’inscrire dans cette logique en s’alliant à trois clubs aux noms ronflants : l’AS Monaco, l’AC Milan et le FC Barcelone.

À travers ces partenariats, les ministères des Sports et du Tourisme veulent faire évoluer l’image – souvent négative et associée à la guerre – du pays à l’international. Mais également promouvoir le tourisme et stimuler le développement du football. Pour un total estimé à près de 90 millions d’euros sur 4 ans, la question doit se poser : est-ce une stratégie prometteuse ou un gaspillage d’argent ?

Des partenariats ambitieux… et flous

Monaco : un logo, peu de clarté

Le logo « RDC, coeur d’Afrique » était présent sur la manche gauche du maillot lors de la présentation de Paul Pogba au club.
Photo : AS Monaco

Le contrat avec le club princier aurait été signé pour 1,6 millions d’euros par saison, sur trois ans, soit 4,8 millions au total. Le logo « RDC, cœur d’Afrique » devrait apparaître sur la manche du maillot lors de certains matchs de Ligue 1. Une visibilité ciblée vers le public francophone, dans un club performant (4ème de Ligue 1 la saison passée) et bien médiatisé.

Mais plusieurs points interrogent :

  • Le logo ne sera pas visible lors de tous les matchs de championnat , ni en Ligue des Champions.
  • Une partie de la visibilité serait réservée aux équipes de jeunes, dont l’impact médiatique est minime.
  • Le communiqué du club parle vaguement « d’accompagner la professionnalisation du football en RDC« , sans détails sur les actions concrètes.

Le prestige du club du Rocher n’est plus à prouver. L’ASM pourrait, sportivement, apporter énormément à la RDC. En termes de post-formation de jeunes talents, formation d’entraîneurs ou même de formateurs congolais. En échange, l’accès au considérable vivier congolais serait bénéfique pour l’institution dans laquelle Shabani Nonda a laissé une trace indélébile.
Cependant aucun de tous ces points n’a été rendu public. Autre problème : le manque de coordination entre les ministères. Le deal aurait été conclu par celui des Sports, sans véritable concertation avec celui du Tourisme.

Milan AC : un projet « éducatif » hors de prix ?

Photo : Ministère du Tourisme

Le ministère dirigé par Didier M’Pambia, de son côté, a ratifié le deal avec avec les Rosseneri. Souhaité depuis au moins eeux ans, celui-ci s’inscrit dans le cadre d’un projet plus large soutenu par l’État italien à travers le « Plan Mattei pour l’Afrique » qui vise à développer les intérêts italiens sur le continent.

Si l’intention apparaît intéressante, plusieurs points laissent également sceptiques :

  • Le montant engagé (14 millions d’euros par an !) semble totalement disproportionné au regard du retour attendu.
  • L’AC Milan, en reconstruction sportive, ne jouera pas la Ligue des Champions cette saison, ce qui prive la RDC d’une retombée rapide en termes de visibilité.
  • La RDC, où le football est encore très désorganisé, est-elle prête à accueillir et tirer profit d’un tel projet ?

Initialement prévu pour débuter dès la saison prochaine, le placement du logo sur le maillot rouge et noir n’interviendra finalement qu’en 2026/2027, selon Sport News Africa. En cause : plusieurs reports liés à des facteurs internes et externes, notamment la guerre à l’Est et des ingérences politiques (comme souvent…) qui ont ralenti la signature du contrat. Entre temps, le Milan avait déjà vendu ses espaces publicitaires à d’autres sponsors. Pour compenser ce retard, le club italien s’est engagé à mettre en œuvre plusieurs actions de visibilité :

  • une communication commune autour du partenariat,

  • un affichage au centre d’entraînement de Milanello,

  • une présence de la campagne « DRC, heart of Africa » au stade de San Siro.

Au-delà du sponsoring, la construction d’une académie de football est prévue, sans lieu précis communiqué pour l’instant, ainsi qu’une école construite en partenariat avec la Fondation Mama Sofia à Boma (Kongo-Central). Cette organisation, dirigée par la veuve de l’ambassadeur italien Luca Attanasio, assassiné à Kibumba (Nord-Kivu), lors d’une mission conjointe avec la MONUSCO en 2021, a déjà œuvré à la mise en place d’un centre médical. Ce volet éducatif et social donne une dimension humaine et mémorielle au projet. Mais des zones d’ombres subsistent..

« Le souci, c’est que ce deal a été bouclé par certaines personnes qui pensent, comme souvent, à leurs propres intérêts avant ceux du pays. Ça pourrait être vraiment intéressant, même si j’étais très surpris de voir le Milan s’investir dans ce genre de deal. Mais comme souvent au Congo, on a choisi la voie nébuleuse… c’est dommage » nous a confié un agent proche du dossier.

D’autres clubs, comme ceux de la marque Red Bull (Salzburg, Leipzig), bien plus aguerris à la post-formation et au développement de jeunes talents africains, auraient pu offrir un meilleur rapport qualité-prix, tout en répondant à nos besoins structurels.

Barça : un nom ronflant très cher payé

Le troisième partenariat, et peut-être le plus médiatisé, concerne le FC Barcelone.  Le montant global du partenariat avec les Blaugrana pourrait atteindre 10 millions d’euros par saison, soit environ 45 millions au total.

Si le prestige du club catalan est indéniable, la visibilité reste très limitée dans ce cas aussi. Un logo éphémère, sans campagne globale structurée, ni stratégie de storytelling forte autour du pays. Surtout, aucune visibilité de « RDC, coeur d’Afrique » sur les maillots de l’équipe première !

Pire encore : La RDC aurait déboursé 5 millions d’euros… pour un seul match, selon le journaliste Romain Molina.

Dans un contexte où le football congolais souffre de nombreux maux structurels, cet investissement apparaît comme un luxe insolent… et dont la productivité est loin d’être garantie.

Un réveil stratégique… à structurer

Sur le fond, la volonté de promouvoir la RDC à travers le sport est légitime. Mais sur la forme, la stratégie semble précipitée

Tourisme : la RDC est-elle prête ?

Au-delà du sport, le partenariat a un objectif d’ouvrir la RDC au tourisme. Et ça tombe bien : avec sa diversité géographique exceptionnelle, sa nature luxuriante, la variété de sa culture, et sa faune endémique, notre pays a énormément à montrer, et à offrir au monde. 

Et pourtant… en raison des décennies de manque d’investissements et de structure, le secteur du tourisme a encore du mal à décoller. Les infrastructures hôtelières à travers le pays sont peu qualifiées, et les conditions d’accueil ne sont pas aux normes internationales, à commencer par les aéroports. Dans ce contexte, investir autant d’argent dans ces partenariats semble prématuré. Et ne pas répondre aux réelles priorités. À moins que des efforts considérables soient entrepris simultanément dans le domaine.

Sur un plan purement sportif, le constat local est également préoccupant :

  • le centre technique de Kurara Mpova n’a toujours pas été rénové,
  • la Linafoot 2024-2025 n’est pas allée à son terme,
  • la formation des jeunes reste non structurée,
  • le football féminin subit un manque criant d’investissement,
  • la détection et l’encadrement des talents locaux manquent cruellement de moyens.

Difficile dans ce contexte de tirer pleinement profit de ces investissements, aussi prestigieux (et coûteux) soient-ils. Enfin, le risque de décourager les investisseurs est préoccupant…

Autre point alarmant : la rivalité entre les ministères impliqués, celui des Sports et celui du Tourisme. Chacun semble vouloir revendiquer la paternité d’un projet, sans  coordination apparente ce qui donne lieu à une stratégie fragmentée, peu lisible, et possiblement contre-productive.

Malgré les critiques, il faut saluer une forme de prise de conscience : pour la première fois, la RDC mise sur le football comme outil d’influence internationale. Et c’est une bonne idée… à condition que l’approche soit cohérente et structurée. Mais comme souvent au Congo, on laisse l’opacité règner en maître. Volontairement.

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