Djibril Mandefu : « On doit apprendre à se valoriser davantage entre africains »

Par Muko
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Ancien joueur professionnel, Djibril Mandefu a raccroché les crampons en 2008, après avoir obtenu une sélection avec la RDC. Depuis, cet ancien attaquant a troqué les buts avec les contrats, et s’est reconverti avec succès dans le monde des agents de joueurs. A l’origine de plusieurs gros transferts en Europe, il a notamment géré les intérêts de Michel Bastos, Emmanuel Adebayor où l’international ivoirien Maxwel Cornet. 

Bénéficiant d’une réputation flatteuse, il est aujourd’hui l’agent Congolais le plus réputé et actif au haut niveau. Et lorsqu’on l’interroge sur le football de son pays, ce panafricain convaincu a des choses à raconter.

Spécificités du métier, rapport entre joueurs et agents africains, politique de transferts des clubs Congolais, ses projets avec le pays… interview sans langue de bois ! 

Bonjour Djibril ! Vous êtes un des rares agents congolais à exercer au haut niveau européen. Depuis combien de temps exercez-vous le métier ?

Bonjour Leopardsfoot !

Oui, je suis certainement un des rares à exercer en Europe. Et je le suis devenu il y a treize ans, soit un après la fin de ma carrière de joueur.

Justement, parlez-nous de votre carrière de joueur. Vous avez même obtenu une sélection avec les Léopards…

J’ai effectué toute ma formation au Paris FC. J’aimerais d’ailleurs avoir une pensée pour Jean-François Charbonnier, qui a été un de mes coachs, et qui vient de nous quitter.

J’ai ensuite joué rapidement à Noisy-le-Sec, puis Tours ou j’ai passé deux belles saisons. Par la suite, j’ai évolué au Portugal, à Espinho, avant d’arriver en D2 belge, à Virton. Puis j’ai joué en Arabie saoudite, ou j’ai marqué pas mal de buts. C’est à cette période la que j’ai été sélectionné par Claude Leroy, ce qui a représenté une très grande fierté pour moi. J’ai ensuite terminé ma carrière au Luxembourg, où j’ai tout doucement commencé à entrer dans le milieu d’agent.

D’ailleurs, comment s’est effectuée la transition comme agent ? Et comment se sont déroulés vos premiers pas dans le métier ?

Dans un premier temps, j’ai commencé par la force des choses. J’ai contribué au transfert d’un ami à moi, avec qui je jouais à Virton, vers le Portugal, via un agent qui m’avait lui-même envoyé là-bas. Et puis au Luxembourg, j’étais sur la fin, et je jouais clairement pour le plaisir. De là, un agent m’a démarché pour que je vienne travailler avec lui, et j’avais déjà pas mal de relations dans le milieu. On s’est associés, mais six mois après, il a eu une proposition de l’UNFP. Il y est allé car avait besoin de stabilité et d’assurance. Alors que dans ce métier, il faut aller au charbon… je me suis donc lancé tout seul.

Je ne remercierai jamais assez mon épouse, qui m’a encouragé sans relâche à poursuivre le métier et à ne rien lâcher, malgré les difficultés. Je l’ai écouté, et c’est de là tout est parti ! 

Aujourd’hui, à quoi ressemble une journée type de Djibril ?

La beauté de ce métier est qu’on en a pas, justement !

Je suis musulman pratiquant, donc je me lève très tôt le matin à l’heure de la prière, pour remercier le bon Dieu. Puis je consulte l’actualité du foot, et tous les messages que j’ai reçu de mes joueurs, des directeurs de clubs, et je me fais un planning en fonction. Quand je suis au bureau, on planifie mes déplacements futurs. Régulièrement, pendant la  semaine, je visionne les matchs de mes joueurs, on essaye de tous les voir avec mon équipe, même si ça n’est pas évident. En tout cas, c’est très compliqué d’avoir une véritable journée « type » dans ce métier.

Quel est l’avantage principal quand on est agent ?

On rencontre énormément de gens. On voyage beaucoup, on fait des nouvelles rencontres. J’ai la chance de pouvoir rester dans le milieu qui m’a tant donné : le football. Et pouvoir continuer à vivre de ma passion, que je regarde encore avec des yeux d’enfants. Et bien sûr, lorsque l’on est un agent actif, on peut très bien gagner sa vie.

Et la contrainte la plus difficile ? Car il ne suffit pas d’aimer et de connaître le foot pour être un bon agent…

Une des plus grandes contraintes, c’est que l’on voit peu sa famille. Je bouge énormément, car je déteste faire les choses à distance. Il faut être flexible constamment, et ça empiète sur le temps de famille. Il faut toujours être disponible sur ses projets. Mais à part ça, il n’y a pas vraiment de grosses contraintes.

Quels sont les plus gros transferts auxquels vous avez contribué ? 

Djibril Mandefu a géré les quatre derniers transferts d’Emmanuel Adebayor.

Je suis satisfait d’un de mes tout premiers : celui de Mamadou Niang au Fenerbahçe (2010). J’avais été mandaté par le club pour trouver un attaquant, et je me suis occupé du transfert. Je m’étais rendu à Marseille, où j’avais rencontré José Anigo, avec qui on avait conclu l’affaire.

Un autre beau transfert auquel j’ai contribué était celui de Miralem Pjanic de Lyon à l’AS Roma (2011). On s’est également occupé du transfert de Rafael da Silva quand il a quitté Manchester United pour Lyon (2015). Sinon, je gère les intérêts de Maxwel Cornet, depuis son plus jeune âge. J’ai également géré les quatre derniers transferts d’Emmanuel Adebayor.

Avec ma société, on est les agents de Michel Bastos, et on avait géré tous ses transferts, à l’époque de Lyon. Un autre sur qui que je compte beaucoup, c’est Bernard Mensah, qui appartenait à l’Atlético Madrid. Je l’avais fait prêter en Turquie à Kasimpasa, puis à Kayseri avant de le transférer au Besiktas. Et sa prochaine étape sera un beau transfert. En ce qui concerne les Congolais, je viens de récupérer Firmin Mubele. Et j’espère qu’on va réussir à réaliser un beau transfert avec lui aussi !

 

"Je suis un panafricain convaincu. J'ai le passeport congolais, et j'en suis fier".

 

Vous vous définissez comme panafricain. Est-ce que cela oriente le choix des joueurs que vous prenez en charge ?

En effet, je suis un panafricain convaincu. J’ai le passeport congolais, et j’en suis fier. Je n’ai jamais fait la demande de la nationalité française.

J’axe en priorité mon travail sur mes jeunes frères africains, sans délimitation d’un pays en particulier. J’aime mon peuple. Je pense qu’il est temps pour nous de se réveiller, et de montrer de l’excellence et de l’exigence dans nos activités respectives. Pourtant ce n’est pas simple pour moi de rallier à ma cause beaucoup de joueurs africains. Car beaucoup ont malheureusement ce complexe de l’homme noir, qui pense que certains blancs seraient plus capables que nous de les emmener au haut niveau. C’est une aberration pour moi, car seul le boulot compte. Et comme je le dis à mes joueurs, le premier agent du joueur est le joueur lui-même. S’il est bon sur le terrain, je le serai à l’extérieur. Et il faut montrer une certaine solidarité pour éviter qu’une zizanie s’installe dans la collaboration, ce qui est le lot de tous nos maux en Afrique. 

En effet, peu de joueurs se tournent vers les agents africains…

Le Togolais Matthieu Dossevi est l’un des joueurs de Djibril.

Et c’est dû à ce complexe d’infériorité qu’on a… Même si, aujourd’hui, peu d’agents africains ont su montrer leur sérieux à part Pape Diouf, paix à son âme.

Mais c’est surtout lié à un manque de patriotisme, surtout pour l’africain francophone. Car l’anglophone a un peu moins ce problème là. Quand je vais voir une famille d’un jeune africain à fort potentiel, je suis toujours obligé d’en rajouter une couche, d’en faire des tonnes, alors que si un agent blanc arrive, ça sera plus simple pour lui. Ce problème trouve ses racines dans l’éducation qu’on reçoit en Afrique, où l’on perçoit l’Occident comme l’Eldorado. Alors que s’ils savaient comment l’africain y est traité, ils auraient moins cette vision sacralisée de l’agent blanc, au-dessus d’un africain comme eux. On doit apprendre à s’aimer davantage entre africains, et se valoriser entre nous. Il faut qu’on arrête d’être la dernière roue du carrosse, et qu’on impose aussi notre vision au reste du monde. 

Avez-vous l’occasion de traiter régulièrement avec le football congolais ?

Pas vraiment. Et c’est assez paradoxal.. Car je suis Congolais, mais j’ai du mal à travailler directement avec mes frères.

Comme je l’ai évoqué plus haut, je viens de récupérer Firmin Mubele, avec qui on a signé un contrat. Par le passé, j’ai aussi travaillé avec certains binationaux. Mais un souci s’est parfois reproduit : constatant que je suis Congolais comme elles, certaines familles confondent le métier d’agent avec celui de fils etc… et me demandent certaines choses qu’elles n’oseraient pas demander à un agent blanc. Par notre éducation et notre respect des anciens, il y a des choses qu’on ose pas dire, ou ne pas faire. Mais j’ai décidé d’imposer la stature du professionnel, et les soucis hors terrains qui ne me concernent pas, je laisse les familles gérer ça entre elles, pour me concentrer uniquement sur l’aspect sportif. 

 

"Je souhaite créer une académie d'élite en RDC"

Avez-vous des projet avec le pays ?

Oui. Aujourd’hui, je suis régulièrement le football de chez nous. Et dans un futur proche, j’aimerais monter une académie d’élite en RDC, un peu sur le modèle de Génération Foot au Sénégal.

Ou alors nouer un partenariat avec des top clubs congolais, et ramener une vision structurée de la formation pour mettre en place d’un système précis : formation/mise en avant du joueur en équipe première/transfert-vente. A l’européenne, mais sans dénaturer la créativité qu’on a au Congo et en Afrique. Ce sont des projets en gestation dans mon esprit. Mais à l’avenir, je serai sûrement amené à travailler davantage avec le football congolais, et j’aimerais récupérer nos meilleurs joueurs, que j’ai déjà en ligne de mire. C’est pour moi inadmissible, en tant que congolais, de constater que ce sont des agents belges et européens qui dominent notre environnement footballistique. C’est encore lié à ce complexe qu’on a.

Aujourd’hui, je peux affirmer sans prétention aucune que je suis le plus gros agent Congolais sur le marché. Et avec cette légitimité, j’ai bien l’intention de me rapprocher davantage de mon pays.

 

"On a un énorme vivier, un gros brassage de population, mais toujours pas de Congolais dans un top club. Ce n'est pas normal !"

Selon vous, quels sont aujourd’hui les plus gros défis de notre football local, afin qu’on exploite mieux notre vivier ?

Ils sont liés aux défis de notre pays de manière générale.

Il faut impérativement faire en sorte d’avoir de meilleures infrastructures. Car aujourd’hui, si l’on compare un jeune congolais et un jeune brésilien, à talent égal, on arrive à vendre le joueur depuis le Brésil à plus de 20 millions d’euros ! Mais c’est très loin d’être le cas pour la RDC, qui a pourtant un gros vivier. Et c’est uniquement grâce aux infrastructures, et à la formation des jeunes dans des académies. Il faudrait des structures et des catégories bien établies, qui comprennent la pré-formation et la post-formation. Et surtout, des installations pour nos équipes premières. C’est un très grand chantier.

On est une très grande nation avec un grand brassage de population mais on a pas l’équivalent d’un Sadio Mané en RDC. Ce n’est pas normal ! 

Aujourd’hui, on a aucun joueur congolais dans un top club. Certes, nous avons des binationaux qui jouent dans les meilleurs championnats, mais on a pas de joueurs portant le maillot du Congo, comme Shabani Nonda un temps, qui jouent dans un grand club. D’où la nécessité de mettre l’accent sur l’entretien des infrastructures… Si tout le championnat local avait son propre stade comme celui du TP Mazembe, et qu’on mette en place un centre de formation structuré, on ferait un grand bond en avant. C’est un travail long et minutieux, mais nécessaire. Et en commençant par la base : l’école de foot, la formation, la pré-formation puis la post formation afin de tirer le nectar de ce travail, et faire en sorte que nos joueurs rayonnent au niveau international, dans les plus grands clubs. C’est aujourd’hui un de mes plus grands rêves, et un chantier auquel j’aimerais participer.

Que pensez-vous de la politique de transfert entre les clubs congolais et ceux de l’étranger ?

Ce qui me désole, c’est de voir à quel point nos clubs ne sont pas respectés dans les transferts vers l’extérieur. C’est un aspect contre lequel je me bats. J’aimerais qu’on revalorise les clubs africains qui ont travaillé dur pour mettre les joueurs en avant. Voir que les talents quittent le pays, et le continent pour moins d’un million d’euros… Et une fois qu’ils brillent en Europe, ils sont revendus à des sommes bien supérieures. Comme si nous, Congolais, n’avions pas le droit de faire des beaux transferts.

Mais c’est aussi lié à un manque de mise en valeur de nos championnats, de nos infrastructures et même de nos pays en général. En fait, tout ça est lié à un manque de patriotisme. L’amour de notre drapeau et de notre peuple devrait faire en sorte que les autres nous respectent pour notre juste valeur. Mais on se bat. Et comme dirait Thomas Sankara, la patrie ou la mort, nous vaincrons ! 

Selon vous, quelles seraient les raisons d’être optimiste pour l’avenir du football congolais ?

De voir que l’Afrique en général avance. Une prise de conscience émane du continent et de la diaspora. On a de grandes raisons d’être optimistes car on a une grande population. Le Congo est grand, riche en sous-sol et en talents. On a beaucoup de défis, mais de belles équipes, et l’avenir sourira au football national et continental. On est un peuple jeune, débrouillard, dynamique, et qui j’en suis convaincu, est la lumière de demain. J’y crois ! 

Enfin, pour finir, quel conseil donneriez-vous aux jeunes congolais qui seraient intéressés par le métier d’agent de joueurs ?

Humilité, discipline travail, travail… et fonce ! C’est un beau métier, intéressant, mais il faut y mettre du sien, de la détermination et croire en ses idées. Surtout, ne jamais lâcher.

Merci pour cette interview, et tous les congolais et africains qui iront la lire. L’Afrique, c’est nous, et l’avenir c’est demain. 

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