Le « pays des autres » : stratégie, vision et gestion (Partie 2)

Par Muko
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Le développement du football peut avoir un énorme impact social dans notre pays. Et pourtant, la RDC est à la traîne.

La place de demi-finaliste obtenue par les Léopards à la dernière CAN ne doit pas masquer cette réalité. Mais plutôt servir de motivation aux instances du football congolais, et aux différentes initiatives privées qui souhaitent agir pour notre football local.

En termes de talent, la RDC n’a rien à envier à personne. Mais en termes d’organisation, elle peut apprendre de beaucoup. Et pas besoin d’aller très loin, car au du Nord au Sud du continent africain,  le modèle de développement de plusieurs pays peut servir d’exemple. 

Après l’Afrique du Sud et le Maroc pour les infrastructures et la formation, voici trois autres pays au développement particulièrement inspirant.

Le Sénégal pour sa stratégie

Sadibou et Ibou Sané (19 ans), les deux dernières « pépites » de l’académie Génération Foot, lors de leur signature au FC Metz en juillet dernier. Symbole d’un partenariat fructueux depuis 2003.
Photo : Le Républicain Lorrain

Depuis six ans, le Sénégal a retrouvé sa place comme ténor du foot africain. En effet, les Lions de la Téranga ont su exploiter leur génération dorée se qualifiant à la Coupe du Monde 2018, remportant la CAN 2021, et atteignant les huitièmes de finale de la Coule du Monde 2022. Le tout avec un mélange de binationaux et de joueurs formés localement, qui évoluent au haut niveau en Europe. Le reflet d’une stratégie de développement menée par deux clubs précurseurs : Génération Foot et Diambars.

Fondé en 2000 à Dakar par l’ancien international guinéen Mady Touré, le premier a taillé sa réputation comme club satellite du club Français du FC Metz. Depuis le début de cette collaboration exclusive en 2003, plus de 30 joueurs sont passés professionnels en lançant leur carrière en Moselle. Un partenariat gagnant-gagnant, qui permet au club Français d’avoir une priorité de sélection sur les talents de l’académie, en échange d’une aide financière. Ainsi, Sadio Mané, Papiss Cissé, Habib Diallo ou encore la dernière pépite du football Sénégalais Lamine Camara ont tous percé à travers ce partenariat.

Sur un autre modèle, Diambars FC a été fondé en 2003 sur la ville côtière de Saly par un entrepreneur Sénégalais, Saër Seck, appuyé par d’anciens joueurs, comme le Béninois Jimmy Adjovi-Boco et le Français natif de Dakar Patrick Vieira. À force de gestion sérieuse et d’investissements bien gérés, le club monte en puissance au fil des années, et remporte son premier titre de champion du Sénégal en 2013. Plusieurs internationaux sénégalais, comme Idrissa Gana Gueye (Everton, ex-PSG) ou encore Bamba Dieng (Lorient, ex-Marseille), symbole du partenariat signé en 2019 avec le club phocéen, y sont formés.

Un système de partenariat qui pourrait, s’il est appliqué en RDC, être une réponse aux défis de la formation dans le pays. Malheureusement, la réputation instable du pays et la mauvaise organisation des instances et des clubs repoussent les potentiels intéressés. Par exemple, Le partenariat entre le TP Mazembe et Clermont n’a encore rien donné, cinq ans après sa signature. Pour pallier à ce manque, et adopter un « modèle Génération Foot », les académies privées semblent être bien mieux préparées que les clubs de Linafoot pour attirer les écuries étrangères. Si elles font preuve de sérieux dans leur développement, certaines structures comme l’Espérance Football Academy, GOAL Academy ou encore CEFORBEL peuvent prendre ce tournant dans les prochaines années. Quant au « modèle Diambars », il faudrait que les joueurs congolais (en activité ou non), et personnalités ayant la volonté, et les moyens, de bâtir une académie ou d’investir dans une existante se réunissent, mettent leurs égos de côté et travaillent ensemble, comme l’ont fait les fondateurs de Diambars. C’est toujours plus efficace que de lancer son initiative seul dans son coin, dans un pays aux rouages aussi complexes que la RDC.

La Tanzanie pour sa vision

Alors que son championnat masculin ne cesse de progresser, la Tanzanie investit également dans le football de jeunes et le football féminin.
Photo : Tanzanian Football Federation

Peut-être le moins attendu de cette liste. Mais si les Kilimanjaro Stars ne pointent pour l’instant qu’à une modeste 121ème place au classement FIFA, n’oublions pas que notre voisin du Sud-Est vient de très, très loin. Après 40 ans sans se qualifier à la moindre compétition continentale, entre 1980 et 2019, les qualifications aux éditions 2019 puis 2023 sont synonymes de nette progression. Une évolution également constatée à l’échelle des clubs tanzaniens.

Dans le cas de la Tanzanie, tout est parti de la volonté de la Fédération. Au début des années 2010, la TFF débutait une politique de relance de son football qui porte ses fruits aujourd’hui. En 2012, Kim Poulsen est nommé « chef du développement » d’une sélection où tout était à construire, ce qu’il qualifiera de « job de rêve« . Mais tout en rêvant, le Danois sait être efficace. Et sous l’égide de la Fédé, il mène une politique de restructuration totale du grassroots football à la formation des coachs, en passant par un développement significatif des infrastructures, dans la continuité du stade Benjamin Mkapa, construit en 2007. Et même après le départ de Poulsen en 2018 (il reviendra comme coach de 2021 à 2022), un cercle vertueux était lancé : l’équipe nationale se qualifie pour la CAN 2019 après une absence de près de 40 ans, ce qui suscite en grand engouement populaire. En conséquence, le championnat bénéficie d’investissements majeurs, qui sauront être bien gérés par la Fédération.

Franchement, qui aurait parié, il y a encore 4 ans, que Young Africans irait en finale de la Coupe de la CAF, et se positionnerait comme un sérieux prétendant à la Ligue des Champions l’année d’après ? Et qu’avec son rival Simba, ils attireraient les meilleurs joueurs du championnat congolais dans leurs filets ?

Fiston Mayele, devenu une star en Tanzanie au cours de son passage profilique à Yanga (50 buts en 54 matchs) nous confiait lors d’une interview la différence entre les championnats congolais et tanzaniens, soulignant l’organisation et la présence de sponsors qui font de la Ligi Kuu Bara un eldorado inattendu pour les joueurs congolais. En effet, la NBC Bank (Banque tanzanienne de commerce) signait en 2021 un contrat de 32,9 billion de shilings (soit 117 millions d’euros) avec le championnat. Les droits TV sont, eux, exploités à la hauteur de 225.6 billion de shilings. Et au-delà de l’argent, cette bonne gestion est matérialisée par des partenariats, comme celui signé par la Fédération tanzanienne avec La Liga espagnole en mars 2022 sur un programme de développement des coachs, jeunes joueurs et football féminin. A cette allure là, la Tanzanie ne risque pas de rester longtemps à la 121ème place au classement FIFA.

De son côté, la Linafoot était considérée comme l’un des meilleurs championnats d’Afrique subsaharienne dans un passé pas si lointain. Les générations dorées successivement de Mazembe (jusqu’au début des années 2010) et de l’AS Vita (jusqu’au milieu des années 2010) ont été deux beaux arbres qui cachaient la forêt broussailleuse qu’est le championnat congolais. Malheureusement, ce n’est plus le cas. Et en attendant, la Tanzanie a dépassé la RDC au dernier classement des championnats de la CAF. Comme pour les Tanzaniens en 2019, il y a un bon élan sur lequel surfer, avec la quatrième place des Léopards à la CAN. Espérons que les dirigeants du CONOR, et les futurs candidats à la présidence FECOFA en aient pris conscience.

La Mauritanie pour sa gestion

Avec sa bonne uti

Avec sa bonne utilisation des fonds FIFA Forward, la Mauritanie est entrée dans une phase supérieure de son développement.
Photo : FFRIM

Au cours de la CAN 2023, la Mauritanie confirmait ses progrès en se qualifiant pour les huitièmes de finale de la CAN, éliminant au passage l’Algérie (1-0). Soit un mois après la première victoire du FC Nouadhibou dans l’histoire de la Ligue des Champions, face à Pyramids (2-0), de quoi confirmer la montée en puissance du pays sur la scène continentale depuis 2019.

Comme la Tanzanie, la Mauritanie n’était nulle part avant la fin des années 2010, atteignant même la 206ème place au classement FIFA entre 2012 et 2013. Mais aujourd’hui, la volonté de fer et la gestion exemplaire de la Fédération compense le peu de moyens et le vivier humain limité (4 millions d’habitants) du pays. « Cette fédération allie efficience et efficacité. On ne peut que la féliciter. » affirmait Nataniel Nascimento Brito, responsable de projet au sein du bureau de développement de la FIFA pour l’Afrique de l’Ouest, avant la CAN. Et pour cause : les fonds alloués à la FFRIM par le projet FIFA Forward ont été très bien utilisés par l’instance. En effet, 11 millions de dollars ont été investis avec succès pour rénover et développer les infrastructures, et construire un centre d’entraînement pour l’équipe nationale. Comme pour la Tanzanie, les footballs féminin et de jeunes connaît également une impulsion.

Une stratégie de développement clairement énoncée sur le site officiel de la FFRIM, par ailleurs très ergonomique et professionnel. Pour son équipe nationale A, la Mauritanie s’appuie dans l’immédiat sur une petite base de joueurs locaux (principalement du FC Nouadhibou), et une majorité de binationaux, dont beaucoup sont sénégalo-mauritaniens. Mais avec les installations mises en place dans le pays, nul doute que les Mourabitounes s’appuieront dans les prochaines années sur une quantité grandissante de joueurs formés au pays.

Dans le cas de la RDC, on peut dire un grand merci aux Fédérations étrangères qui ont formé la majorité des joueurs de l’effectif des Léopards, en plus des joueurs eux-mêmes. Mais attention à ne pas se laisser duper, car d’autres pays avancent, et travaillent réellement.

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