« Je dois dire… pas grand-chose ». La réponse de Dieudonné Sambi, qu’on interrogeait sur son bilan en termes de formation des talents locaux, avait le mérite d’être franche.
Mais si – comme il l’a confié dans notre interview exclusive – ses prédécesseurs lui ont laissé un terrain cabossé, son aveu ne laissait rien présager de bon. Et le résultat est là.
Battus par le Maroc ce dimanche 17 août, les Léopards A’ sont éliminés du CHAN en phase de poules, pour le deuxième fois consécutive. Comment en est-t-on arrivé là ?
I) Volonté… mais pas assez
Poids du manque de préparation dans l’échec final ?
Comme pour les Léopards dames précédemment, la préparation des Léopards A’ pour le CHAN 2024 a été marquée par de nombreuses difficultés :
• Le début tardif de la préparation, soit deux semaines seulement avant le coup d’envoi de la compétition. Ce qui a considérablement réduit le temps de mise en place physique et tactique de l’équipe ;
• Des problèmes logistiques rencontrés à Kinshasa par les joueurs dont le manque de moyens de transport pour se rendre sur le lieu de l’entraînement ;
• L’annulation du second stage prévu en Algérie ;
• L’annulation du match amical contre le Sénégal A’ pour des raisons organisationnelles. Les Léopards ont finalement affronté le Jamus SC du Soudan du Sud (victoire 3-1) ;
• Bloqués à Kinshasa en raison de problèmes de passeports, Linda Mtange, Dieubéni Ndongala et Lolendo Mansanga, ont manqué plusieurs entraînements alors que le groupe était déjà en Tanzanie. Cette situation a forcé le sélectionneur à aligner une défense inédite lors du match contre le Kenya (défaite 1-0).
Ces différentes péripéties ont suscité l’indignation du capitaine Mika Miche, qui a pointé du doigt les difficultés entourant la préparation de l’équipe :
« Je suis en sélection depuis 2012. L’équipe nationale n’est pas seulement celle des A. Dans toutes les autres catégories, la préparation se passe toujours mal et avec du retard…. À chaque fois, il y a toujours les mêmes problèmes lors des voyages et pendant les rassemblements. Il y a pourtant de bons joueurs ici. Même si nous ne serons plus là, aidez ces jeunes. Il y a de la souffrance ici.», s’est-il exprimé dans le vestiaire après la défaite (1-3) face au Maroc.
Lacunes tactique, bien que le jeu se soit amélioré
Tout au long du tournoi, les Léopards A’ ont fait preuve de courage et de détermination dans le jeu en dépit des conditions susmentionnées. Cependant, malgré des qualités individuelles indéniables, illustrées par des joueurs comme Ibrahim Matobo ou Agée Basiala, l’équipe a souffert de lacunes tactiques dans son jeu collectif.
Ces carences, dues à un manque de formation chez certains joueurs, se sont manifestées dans la mauvaise lecture des phases offensives adverses, particulièrement face au Maroc. Elles se ont également signalées par des choix approximatifs en attaque, où les Léopards n’ont pas su concrétiser certaines opportunités.
Dans un message publié ce mardi 18 août 2025, Otis Ngoma a reconnu ces faiblesses en suggérant une amélioration pour les prochaines échéances : « une formation de qualité. Face à des joueurs marocains parfois sélectionnés depuis les catégories U15 et performants au sein d’un des meilleurs championnats d’Afrique, la différence s’est faite sur des éléments importants, invisibles aux yeux du grand public.», peut-on lire sur son compte Instagram.
Néanmoins, il est nécessaire de souligner une certaine progression par rapport au CHAN 2022, où les Léopards n’avaient marqué aucun but.
En 2024, l’équipe a montré plus de fluidité dans son jeu et une amélioration sur les coups de pied arrêtés offensifs, avec deux buts inscrits contre l’Angola et plusieurs situations dangereuses. Cependant, l’efficacité sur ces phases reste un point faible dans le football congolais en général, notamment chez les Léopards seniors A.
Comparaison avec 2009 et 2016 : l’arbre qui cachait la foret a été coupé
Malgré les problèmes structurels, organisationnels et le manque de formation qui rongent le football congolais, la RDC a su, par le passé, produire des talents individuels purs au niveau local.
Des joueurs comme Trésor Mputu, Lofo Bongeli, Robert Kidiaba, Meschack Elia, Merveille Bope ou encore Héritier Luvumbu ont permis au Congo de remporter le CHAN en 2009 et 2016.
Cependant, aujourd’hui, le réservoir de talents locaux n’est plus le même en terme de qualité. À cela, s’ajoute également l’exode des meilleurs éléments vers des championnats étrangers tels que le Maroc, la Tanzanie, l’Afrique du Sud et le Soudan.
Au niveau des résultats, les conséquences sont palpables. Depuis le sacre de 2016, les performances des Léopards dans cette compétition sont en net recul :
• CHAN 2018 : Non qualifiés
• CHAN 2020 : Éliminés en quarts de finale
• CHAN 2022 : Éliminés en phase de poules
• CHAN 2024 : Éliminées en phase de poules
Ce déclin, remarqué également dans les compétitions interclubs de la CAF, reflète un problème structurel plus profond dans le football congolais, incapable de renouveler ses talents et de maintenir son niveau d’antan.
Otis Ngoma : sa part de responsabilité, mais des conditions difficiles
Malgré des conditions difficiles, les erreurs du passé n’ont pas été pleinement corrigées par le sélectionneur Otis Ngoma et son staff. Certains de leurs choix tactiques et de gestion d’effectif ont suscité des interrogations.
Pourtant absent de la liste des présélectionnés, Boaz Ngalamulume Bato a remplacé l’attaquant Henock Molia dans la liste finale. Une décision qui a surpris tant sur le plan stratégique que sportif : un milieu défensif qui remplace un attaquant !
Le staff a également fait preuve de certaines insuffisances tactiques durant la compétition. Lors du match face au Kenya (1-0), l’équipe semblait désorganisée dans son pressing et mise en difficulté par le 3-5-2 de Benedict McCarthy.
II) La formation : une priorité reléguée
Depuis l’élimination, le coup de gueule de Miché Mika sur les réalités des joueurs locaux suscite l’émoi. Retards persistants dans les préparations, staff difficilement payé, improvisations de dernière minute… le foot local porte toujours les oripeaux dont se sont défait les A ces dernières années, comme l’a tristement rappelé le milieu de Lupopo. En effet, pourquoi les locaux n’auraient-ils, eux aussi, pas droit à l’amélioration des conditions dont a bénéficié l’équipe de Sébastien Desabre ?
En réalité, tout part de la base. Depuis de longues années, le vivier sportif pourtant gigantesque de la RDC est sacrifié, au profit d’intérêts personnels. La formation des formateurs et la détection des talents congolais à travers notre vaste territoire n’a jamais été déployée en priorité concrète par les autorités, malgré quelques tentatives inconstantes. Il y a quatre ans, le co-fondateur de l’académie EFA à Kinshasa nous confiait que des milliers de talents étaient gâchés chaque année dans le pays faute de systèmes de détection et de formation appropriés. Et malheureusement, la perte n’a jamais été enrayée.
En RDC, du moins. Car, comme on peut l’observer au cours du CHAN et dans leur politique générale, certains pays avancent. De la Tanzanie, nouvel eldorado des joueurs congolais, au surprenant Soudan qui, malgré une guerre civile et l’arrêt forcé de son championnat, tentera de jouer les trouble-fêtes jusqu’au bout dans les qualifications pour la Coupe du Monde, en plus du CHAN. Sans oublier le Maroc et son exigence désormais connue en termes de formation, ce qui lui a permis de surclasser la RDC vendredi, même avec une équipe amputée de cadres. Ou le Sénégal et ses académies confirmées, qui permettent à l’équipe locale de suivre au pas les progrès des A.
À l’inverse, les joueurs locaux congolais accusent de profondes lacunes tactiques dues à un manque de formation adaptée, malgré leur volonté générale de mouiller le maillot et les coups d’éclat d’Ibrahim Matobo. Difficile d’imaginer que le même pays s’apprête à injecter des dizaines de millions dans les poches déjà pleines de clubs européens contre une visibilité limitée. Pendant que ses talents locaux s’enfoncent dans la souffrance. Quand aura-t-on le sens des priorités ? Et surtout, de la dignité ?
III) Ce que ce CHAN révèle pour la suite
Des clubs encore mal structurés !
Il est temps de se dire les choses telles qu’elles sont : malgré l’immense potentiel du vivier local, qui masque parfois le manque flagrant d’organisation, le Congo n’est pas encore en mesure de se targuer de posséder de véritables clubs « professionnels ».
À l’exception peut-être du TP Mazembe, du prometteur FC Les Aigles du Congo ou de l’AS Maniema, qui a récemment annoncé des projets d’infrastructures à Kinshasa et dans sa province d’origine, aucun club de la Ligue Nationale de Football n’a réellement investi dans des installations dignes de ce nom. Et cela constitue un frein majeur au développement des talents locaux. Ailleurs, notamment au Sénégal, des clubs comme Diambars FC, Génération Foot ou Dakar Sacré-Cœur ont très tôt compris l’importance de cette vision.
En plus de fournir un cadre structuré pour le football professionnel, ces clubs ont aussi su créer des passerelles à l’international, facilitant ainsi la transition des jeunes joueurs vers l’Europe pour la post-formation, leur permettant de progresser dans des environnements adaptés à leur évolution.
Politisation du football
Aujourd’hui la politisation des clubs est devenue monnaie courante au sein des clubs. En effet, les personnalités politiques influentes de servent de ces instutions afin de promouvoir leurs projets à des fins politiques pour rassembler en vue des législatives nationales, régionales et locales. Il paraît un moyen plus efficace pour gagner en popularité. Cependant, il entraîne de conséquences néfastes pour les clubs. Ainsi en cas d’échec pour le mandat visé, ça laisse le club dans une situation délicate, et jusqu’à fragiliser les résultats sportifs.
Exemples typiques l’AS Vita Club et l’US Tshinkunku, pour ne citer que celles-là, ont clôturé leur saison avec deux coordinations différentes. Même si ces anciens dirigeants ne sont pas forcément d’acteurs politiques.
L’urgence de relancer un championnat de qualité et de haut niveau
La Linafoot est aujourd’hui confrontée à une perte croissante de crédibilité auprès des acteurs du football et de ses partenaires. Cette situation s’explique en grande partie par le non-respect régulier du calendrier, avec des matchs souvent reportés à la dernière minute — parfois même la veille ou 48 heures avant leur tenue.
De plus, la Ligue a du mal à mener certaines saisons à leur terme. C’est notamment le cas des éditions 2020-2021, 2022-2023 et plus récemment 2024-2025, pour ne citer que celles-là. À ces difficultés s’ajoutent également de nombreuses polémiques autour de l’arbitrage, régulièrement critiqué par les clubs locaux. Ce qui entraîne parfois les bagarres dans les différents stades à travers le pays. Il devient donc impératif que la Fédération Congolaise de Football Association et la Ligue harmonisent leurs actions en amont pour assurer une meilleure organisation et offrir un championnat digne de ce nom, à la hauteur des attentes.
Par ailleurs, les clubs doivent aussi s’engager dans une dynamique de professionnalisation, notamment en renforçant leur capacité à mobiliser des ressources financières. Cela leur permettra de retenir leurs meilleurs joueurs plus longtemps, condition indispensable à la création d’un spectacle de qualité et à la valorisation du championnat.
Des tentatives de corruption
Sans être encore formellement établies par la justice, les accusations de corruption et de manipulation de résultats secouent les championnats nationaux. Plusieurs clubs auraient mis en place des équipes satellites pour faciliter certaines ententes suspectes.
En mai 2025, une vidéo virale relançait le débat : Biko Bosekisa, entraîneur de l’AC Rangers, y affirmait que son club avait reçu de l’argent pour laisser filer des points à des adversaires lors des Playoffs. Une déclaration choc qui a ravivé les soupçons déjà exprimés par Joao Mota, ancien entraîneur portugais du DCMP, peu après son départ : « Il y a de la corruption », avait-il confié.
Reste à savoir si les instances compétentes prendront des mesures concrètes pour enrayer ce fléau et restaurer l’intégrité du football congolais.
Destin Makaya, Louis Mukoma Fargues et Henock Seke