« Qu’après la CAN (ndlr : 2015) qu’Ibenge démissionne. Il n’est pas un entraîneur à la mesure de cette compétition ». « J’apprécie le travail qu’Ibenge a abattu avec V. Club mais il est tactiquement limité pour diriger la sélection nationale ». « Un coach limité qui ne comprend pas le système 4-3-3 ». « Notre qualification en quarts de finale est l’affaire de joueurs et non du coach ».
Ainsi s’expriment différents supporters de Léopards sur les réseaux sociaux. Ces quelques citations illustrent la valse de critiques très acerbes contre Ibenge, le sélectionneur de la RDC, à la CAN 2015. Elles sont des réactions à la question posée dès le lendemain de l’engagement par le gouvernement et la Fecofa d’Ibenge comme sélectionneur de Léopards : Ibenge est-il l’homme de la situation ?
Constant Omari, président de la Fecofa, en général très critique sur les entraîneurs, a déclaré sur le plateau de Canal +, à l’émission Talents d’Afrique, en octobre dernier, qu’Ibenge est l’oiseau rare recherché. « L’homme moderne » (surnom donné à Omari par un musicien congolais de renom) est allé même plus loin en affirmant qu’il a donné tout le pouvoir dû à un sélectionneur national à Florent Ibenge.
Cependant, cet appui dont bénéficie Ibenge ne suffit pas. Le foot étant un sport populaire dans un pays comme la RDC passionné pour le ballon rond, il faut donc compter avec des supporters. Auprès de ceux-ci, Ibenge ne fait pas l’unanimité. Certainement, le technicien congolais n’est pas dieu. Il est humain, avec ses qualités et défauts. Mais est-il seulement apprécié à sa juste valeur et selon le contexte?
C’est ici que le bât blesse. Les raisons de ces critiques sont parfois liées à des affects personnels. Avant la CAN, il a été reproché à Ibenge de ne pas avoir présélectionné Trésor Mputu. Cela lui a valu d’être traité d’entraîneur venu de la Chine par un journaliste doublé de la casquette d’analyste de football. A l’envoi de la liste de 23 sélectionnés pour la CAN, Ibenge a été pris à partie pour avoir renvoyé dans leurs clubs le milieu défensif Distel Zola de Châteauroux (Ligue 2 France) et le milieu offensif Héritier Luvumbu de l’AS V. Club. Pour cela, il a été jugé de sentimentaliste parce qu’au poste de milieu défensif, il a gardé Nelson Munganga de l’AS V. Club. Rappelons qu’Ibenge est aussi l’entraîneur de V. Club. D’autres s’en sont pris à son discours jugé trop modeste pour le « grand » Congo qui devrait affronter en phase de poule la Zambie et le Cap vert entre autres, jugés ordinaires.
Et voici la CAN ! La prestation de Léopards au premier tour de la compétition attentivement suivie par toute la nation, a apporté de l’eau au moulin des supporters critiques. La forme de Mbokani, la non titularisation de Bokila ou encore la tactique mise en place lors de Cap vert-RDC constituent les points de critique. L’accès en quart de finale a tempéré les critiques qui peuvent reprendre après le derby du pool Malebo, le 31 janvier 2015, à Bata quand la RDC rencontrera le Congo.
Mention S
En comparaison avec les attentes de bien-pensants, Ibenge n’est peut-être pas le sélectionneur glamour, l’homme de la situation. Mais au regard des autres sélectionneurs présents à la CAN 2015, et vu la phase de quarts à laquelle est qualifiée la RDC, tout porterait à reconnaître que le sélectionneur de la RDC n’est pas le dernier de Mohicans. En effet, 8 entraîneurs sont partis à l’issue de la phase de groupes. Certains avaient un CV plus fourni que celui d’Ibenge en arrivant en Guinée Equatoriale. Mais ils ont fait pire ou la même chose, en termes de résultats, acception faite de poules de leurs sélections respectives et selon toutes proportions gardées.
Paul Put de Burkina Faso, finaliste de la CAN 2013 ou Jorge Costa du Gabon ont perdu des matches dans un groupe qui était à la portée de leurs équipes.
Alain Giresse du Sénégal, demi-finaliste de la CAN 2012 avec le Mali, Volker Finke du Cameroun mondialiste ou Ephraïm Mashaba de l’Afrique du Sud n’ont pas fait mieux.
Michel Dussuyer de la Guinée Conakry qu’il dirige depuis 5 ans et Henri Kasperzack, médaillé de bronze avec le Mali en 2002 ont tout aussi connu la même fortune qu’Ibenge, c’est-à-dire trois matches nuls en phase de poules.
Si les Sénégalais s’en prennent à Giresse pour ses choix tactiques jugés inadaptés, les Camerounais ont juré d’avoir la peau de l’Allemand Finke qui n’a pas titularisé leur chouchou, Clinton Njié. Le Sud-africain Mashaba a aligné trois gardiens différents à chaque match. A l’absence de son gardien titulaire et capitaine, Senzo Meyiwa assassiné à Johannesburg, il n’a pas puisé chez les anciens pour rappeler l’expérimenté Itumeleng Khune de Kaizer Chiefs. Il a choisi la jeunesse qui l’a laissé tomber.
Des choix de joueurs et des erreurs tactiques qui sont reprochés à Ibenge venu de la Chine mais dont sont aussi capables et coupables d’autres plus aguerris que lui à la CAN ou au haut niveau. Décidément, le foot est ainsi fait.
Agence- conseil en coaching
La sélection nationale est une affaire de tous mais tout le monde n’en est pas responsable. Le règlement n’établit pas qu’un sélectionneur doit être à l’écoute de supporters auprès desquels il reçoit des recommandations, suggestions et orientations. Le groupe de supporters n’est pas une agence conseil ou un cabinet de consulting en coaching.
Les voix et les choix de supporters sont disparates. Le Congolais de Goma a une approche différente de la sélection que celui de Kananga. Ou encore le compatriote habitant Liège a des préférences autres celles du Congolais à Montréal. Une contre-performance de l’équipe alignée selon le conseil de l’un ou l’autre ne sera jamais mise au compte de supporters mais seul l’entraîneur en porte l’entière responsabilité et l’assume. Volker Finke a déclaré : « le football n’est pas un vote ». Ce serait irresponsable qu’un entraîneur se plaigne comme l’a fait le président d’un club de Kinshasa au sujet de transferts ratés au cours d’une saison : « vous (ndlr : les supporters de son club) m’avez fait acheter des joueurs qui n’ont pas donné satisfaction ». Ibenge n’a-t-il raison d’être attaché à ses principes et idées, dans ce contexte ?
La mesure
La CAN se poursuit dès samedi prochain. La RDC est encore en lice, avec ses qualités et défauts. La RDC n’a pas été si ridicule que cela malgré ses matches nuls. On oublie souvent qu’Ibenge a été nommé d’abord sélectionneur adjoint. Dans l’attente d’un sélectionneur cinq étoiles qui n’est plus arrivé, il s’était mis au travail. Mais les divergences entre le gouvernement et la Fecofa à propos de la préparation des Léopards aux éliminatoires CAN 2015 ne lui ont pas permis de travailler avant septembre 2014. Sans une marge de manœuvre, Ibenge a travaillé à sa manière, selon sa méthodologie.
Rien, cependant, ne l’épargne des critiques de quiconque. Nous ne disons pas qu’il exempte de tout reproche. Nous ne militons pas contre la liberté d’expression. Mais si toute proportion devrait être gardée, on ne friserait pas le ridicule en scrutant tout geste, en analysant chaque mot ou en mettant sur son dos les caprices d’un joueur.