Le(s) foot(s) Africain(s)
Posté : 20 mai 2010, 09:55
Le(s) foot(s) africain(s)
Qui est le plus grand joueur africain de l'histoire ? Pourquoi l'Egypte ne brille qu'à la CAN ? Pourquoi l'Afsud a-t-elle du mal ? Nous avons posé ces questions pièges sur le football africain à Jean-François Péres, grand connaisseur du dossier, et auteur d'un "Dico du foot africain" paru mercredi.
1.Quel est le plus grand joueur de l'histoire du foot africain?
Cela commence fort ! C'est toujours le même problème : peut-on mettre sur le même plan les footballeurs de différentes époques ? Dans le cas du football africain, c'est encore plus délicat, tant les images d'avant les années 80 manquent. La première star du foot africain, ce fut Larbi Ben Barek, la "perle noire", Marocain de naissance mais Français de nationalité, qui a eu une très longue carrière, de 1935 à 1955 environ, notamment à l'OM. Pelé disait de lui : "Si je suis le roi du foot, alors Ben Barek en est le Dieu !" C'est dire... Plus près de nous, il y a Laurent Pokou, longtemps meilleur buteur de la CAN et idole de Didier Drogba. Roger Milla est évidemment un monstre, mais sa carrière en club fut loin d'égaler ses éblouissantes performances en équipe nationale. Soit l'exact inverse du grand George Weah, premier Ballon d'Or africain, desservi par sa nationalité libérienne, même s'il a beaucoup fait pour le football dans son pays. J'adore les deux gardiens camerounais "historiques", Bell et Nkono, exceptionnels. Il y a aussi Abedi Pelé, Madjer, décisifs avec leurs sélections et vainqueurs de la Ligue des champions... Je vais faire une réponse au futur : si Drogba ou Eto'o mènent leur sélection en demi-finale de la Coupe du monde, ce qui serait du jamais-vu, alors ils mériteraient la palme, vu leur exceptionnelle carrière en club et la place qu'ils occupent en Afrique.
2. Pourquoi le football sud-africain est-il si peu compétitif alors qu'il est de loin le plus riche du continent ?
Parce que l'Afrique du Sud n'est guère intéressée par les compétitions africaines ! C'est incroyable de penser que ce pays n'a remporté qu'une Ligue africaine des champions (Orlando Pirates, en 1995) depuis la fin de l'apartheid et un seul titre continental, chez lui en 1996. Mais les Sud-Africains, de l'aveu même des joueurs et des journalistes qui les suivent, n'aiment pas voyager en Afrique. Ils n'aiment pas les stades, l'accueil, les hôtels, l'absence d'air conditionné dans les bus... et les tricheries sur l'âge des joueurs dans les compétitions de jeunes. Et ils ne sont guère motivés. "L'Afrique, c'est un mal nécessaire", m'a même confié un éminent commentateur. Je reviens d'Afrique du Sud et je peux vous dire que là-bas, c'est le football anglais qui passionne le plus les gens et fait la une des journaux, loin devant tout le reste, y compris les compétitions nationales ! Ceci explique sans doute cela : ce pays se considère un peu comme une île en Afrique, davantage attiré par l'Asie, l'Amérique ou l'Europe.
3. On parle souvent "du" foot africain... Est-il si unitaire que cela, de l'Afrique du Sud au Maroc ?
De fait, non ! Il y a trois ou quatre footballs en Afrique : celui d'Afrique du Nord, de l'Ouest, de l'Est et de la partie australe, dont l'Afrique du Sud est le vaisseau-amiral. Pas plus que les Sud-Africains, les Maghrébins n'aiment jouer en Afrique noire. Il existe d'ailleurs des compétitions arabes de clubs et de sélections qui ont autant de succès, sinon plus, que les compétitions continentales. En fait, les pays les plus impliqués dans le foot africain sont sans doute ceux de l'Ouest et du Centre, à majorité francophones. Même si le palmarès donne plus souvent raison ces derniers temps aux clubs du Nord, particulièrement les surpuissants Egyptiens et Tunisiens. Quant à l'Afrique de l'Est, elle peine à se mettre au niveau. La région souffre également d'une géopolitique instable.
4. Pourquoi l'Egypte gagne-t-elle toujours la CAN et ne va-t-elle jamais à la Coupe du monde ?
C'est un mystère. Seulement deux phases finales, en 1934 et 1990, c'est ridicule pour un football aussi stable que puissant, avec peut-être les deux meilleurs clubs du continent : le National et Zamalek, les grands du Caire. Sans compter des générations de joueurs talentueux, bons physiquement et matures tactiquement. Ahmed Hassan, l'actuel meneur de jeu, en est un magnifique ambassadeur. Pour en avoir parlé à des Egyptiens, je ne vois qu'une explication : la nature égyptienne. C'est un pays très fier de ses racines et de son histoire, à juste titre, mais qui aurait tendance à vivre en vase clos, voire en autarcie. Et qui cultive parfois une certaine suffiance, voire arrogance vis-à-vis de ses voisins, qui en échange ne l'apprécient guère. Objectivement, l'Egypte possède la meilleure sélection africaine, elle vient de remporter trois CAN d'affilée, ce qui n'était jamais arrivé. Mais ce trait de caractère lui joue des tours, comme en novembre 2009 face à l'Algérie...
5. Quand on voit la Côte d'Ivoire offrir des buts comme elle l'a fait à la CAN, avec autant de bons joueurs, avec un type rigoureux comme Halilohdzic sur le banc de touche, peut-on envisager qu'une équipe africaine ait un jour la discipline suffisante pour aller au bout d'une Coupe du monde ?
Cela viendra forcément un jour, mais cela risque de prendre encore du temps... Il y a plusieurs problèmes à régler : l'homogénéité du niveau des joueurs, et en ce sens, la Côte d'Ivoire est peut-être ce qui se fait de mieux depuis le Cameroun des années 80 : tous ses titulaires jouent dans des bons clubs en Europe. Il y a ensuite les rivalités, ethniques, religieuses, matérielles, de diaspora... entre joueurs, plus importantes qu'il n'y parait; le problème du leadership dans le vestiaire, qui a tellement fait de mal au Sénégal après 2002; et d'une manière générale, la compétence des dirigeants, encore largement problématique, dans tous les domaines. Un exemple ? Le choix de Sven-Goran Eriksson pour mener les Eléphants ivoiriens au Mondial. Il ne connaît rien à l'Afrique, parle à peine français, et vu ce qui a "fuité" de son contrat, semble plus intéressé par sa fortune et son confort personnel que par la difficile mais exaltante mission qui l'attend. Je n'ai vraiment rien compris à ce recrutement "bling-bling". On verra dans quelques jours si j'ai eu tort. Je l'espère vraiment : si les Ivoiriens survivent à ce groupe terrible avec le Brésil et le Portugal, ils peuvent faire de très belles choses. C'est le dernier grand rendez-vous de la "génération Drogba"...
JEAN-FRANCOIS PERES, Dicou fou du foot africain, 206 pages, 9,90 euros. Editions du Rocher.
Par Cédric ROUQUETTE
Qui est le plus grand joueur africain de l'histoire ? Pourquoi l'Egypte ne brille qu'à la CAN ? Pourquoi l'Afsud a-t-elle du mal ? Nous avons posé ces questions pièges sur le football africain à Jean-François Péres, grand connaisseur du dossier, et auteur d'un "Dico du foot africain" paru mercredi.
1.Quel est le plus grand joueur de l'histoire du foot africain?
Cela commence fort ! C'est toujours le même problème : peut-on mettre sur le même plan les footballeurs de différentes époques ? Dans le cas du football africain, c'est encore plus délicat, tant les images d'avant les années 80 manquent. La première star du foot africain, ce fut Larbi Ben Barek, la "perle noire", Marocain de naissance mais Français de nationalité, qui a eu une très longue carrière, de 1935 à 1955 environ, notamment à l'OM. Pelé disait de lui : "Si je suis le roi du foot, alors Ben Barek en est le Dieu !" C'est dire... Plus près de nous, il y a Laurent Pokou, longtemps meilleur buteur de la CAN et idole de Didier Drogba. Roger Milla est évidemment un monstre, mais sa carrière en club fut loin d'égaler ses éblouissantes performances en équipe nationale. Soit l'exact inverse du grand George Weah, premier Ballon d'Or africain, desservi par sa nationalité libérienne, même s'il a beaucoup fait pour le football dans son pays. J'adore les deux gardiens camerounais "historiques", Bell et Nkono, exceptionnels. Il y a aussi Abedi Pelé, Madjer, décisifs avec leurs sélections et vainqueurs de la Ligue des champions... Je vais faire une réponse au futur : si Drogba ou Eto'o mènent leur sélection en demi-finale de la Coupe du monde, ce qui serait du jamais-vu, alors ils mériteraient la palme, vu leur exceptionnelle carrière en club et la place qu'ils occupent en Afrique.
2. Pourquoi le football sud-africain est-il si peu compétitif alors qu'il est de loin le plus riche du continent ?
Parce que l'Afrique du Sud n'est guère intéressée par les compétitions africaines ! C'est incroyable de penser que ce pays n'a remporté qu'une Ligue africaine des champions (Orlando Pirates, en 1995) depuis la fin de l'apartheid et un seul titre continental, chez lui en 1996. Mais les Sud-Africains, de l'aveu même des joueurs et des journalistes qui les suivent, n'aiment pas voyager en Afrique. Ils n'aiment pas les stades, l'accueil, les hôtels, l'absence d'air conditionné dans les bus... et les tricheries sur l'âge des joueurs dans les compétitions de jeunes. Et ils ne sont guère motivés. "L'Afrique, c'est un mal nécessaire", m'a même confié un éminent commentateur. Je reviens d'Afrique du Sud et je peux vous dire que là-bas, c'est le football anglais qui passionne le plus les gens et fait la une des journaux, loin devant tout le reste, y compris les compétitions nationales ! Ceci explique sans doute cela : ce pays se considère un peu comme une île en Afrique, davantage attiré par l'Asie, l'Amérique ou l'Europe.
3. On parle souvent "du" foot africain... Est-il si unitaire que cela, de l'Afrique du Sud au Maroc ?
De fait, non ! Il y a trois ou quatre footballs en Afrique : celui d'Afrique du Nord, de l'Ouest, de l'Est et de la partie australe, dont l'Afrique du Sud est le vaisseau-amiral. Pas plus que les Sud-Africains, les Maghrébins n'aiment jouer en Afrique noire. Il existe d'ailleurs des compétitions arabes de clubs et de sélections qui ont autant de succès, sinon plus, que les compétitions continentales. En fait, les pays les plus impliqués dans le foot africain sont sans doute ceux de l'Ouest et du Centre, à majorité francophones. Même si le palmarès donne plus souvent raison ces derniers temps aux clubs du Nord, particulièrement les surpuissants Egyptiens et Tunisiens. Quant à l'Afrique de l'Est, elle peine à se mettre au niveau. La région souffre également d'une géopolitique instable.
4. Pourquoi l'Egypte gagne-t-elle toujours la CAN et ne va-t-elle jamais à la Coupe du monde ?
C'est un mystère. Seulement deux phases finales, en 1934 et 1990, c'est ridicule pour un football aussi stable que puissant, avec peut-être les deux meilleurs clubs du continent : le National et Zamalek, les grands du Caire. Sans compter des générations de joueurs talentueux, bons physiquement et matures tactiquement. Ahmed Hassan, l'actuel meneur de jeu, en est un magnifique ambassadeur. Pour en avoir parlé à des Egyptiens, je ne vois qu'une explication : la nature égyptienne. C'est un pays très fier de ses racines et de son histoire, à juste titre, mais qui aurait tendance à vivre en vase clos, voire en autarcie. Et qui cultive parfois une certaine suffiance, voire arrogance vis-à-vis de ses voisins, qui en échange ne l'apprécient guère. Objectivement, l'Egypte possède la meilleure sélection africaine, elle vient de remporter trois CAN d'affilée, ce qui n'était jamais arrivé. Mais ce trait de caractère lui joue des tours, comme en novembre 2009 face à l'Algérie...
5. Quand on voit la Côte d'Ivoire offrir des buts comme elle l'a fait à la CAN, avec autant de bons joueurs, avec un type rigoureux comme Halilohdzic sur le banc de touche, peut-on envisager qu'une équipe africaine ait un jour la discipline suffisante pour aller au bout d'une Coupe du monde ?
Cela viendra forcément un jour, mais cela risque de prendre encore du temps... Il y a plusieurs problèmes à régler : l'homogénéité du niveau des joueurs, et en ce sens, la Côte d'Ivoire est peut-être ce qui se fait de mieux depuis le Cameroun des années 80 : tous ses titulaires jouent dans des bons clubs en Europe. Il y a ensuite les rivalités, ethniques, religieuses, matérielles, de diaspora... entre joueurs, plus importantes qu'il n'y parait; le problème du leadership dans le vestiaire, qui a tellement fait de mal au Sénégal après 2002; et d'une manière générale, la compétence des dirigeants, encore largement problématique, dans tous les domaines. Un exemple ? Le choix de Sven-Goran Eriksson pour mener les Eléphants ivoiriens au Mondial. Il ne connaît rien à l'Afrique, parle à peine français, et vu ce qui a "fuité" de son contrat, semble plus intéressé par sa fortune et son confort personnel que par la difficile mais exaltante mission qui l'attend. Je n'ai vraiment rien compris à ce recrutement "bling-bling". On verra dans quelques jours si j'ai eu tort. Je l'espère vraiment : si les Ivoiriens survivent à ce groupe terrible avec le Brésil et le Portugal, ils peuvent faire de très belles choses. C'est le dernier grand rendez-vous de la "génération Drogba"...
JEAN-FRANCOIS PERES, Dicou fou du foot africain, 206 pages, 9,90 euros. Editions du Rocher.
Par Cédric ROUQUETTE