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L’autonomie du Kivu revisitée
Une vue de la Région des Grands Lacs.
Quand en 2011 Washington nomme un premier envoyé spécial dans la région des Grands Lacs, Herman Cohen, ancien sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires africaines, écrit personnellement au président Barack Obama en qui les Africains, dans leur immense naïveté, avaient fondé leurs espoirs d’une politique américaine soucieuse de la défense non pas du droit du plus fort, mais de celle des droits de l’homme. Dans sa lettre, Cohen « suggère que l’on légalise le commerce des minerais au Kivu qu’exploitent les hommes d’affaires rwandais ». Il s’explique en ces termes : « Le Rwanda a envahi le Kivu en 1998. Pendant six ans, il a mis en place des réseaux pour l’exploitation des minerais, surtout le coltan qui rapporte des milliards de dollars. Je pense que tout le monde trouvera son compte et la RDC percevra des impôts. J’ai proposé que le commerce des minerais soit légalisé. Mais j’ai rencontré une farouche opposition de la part des Congolais qui évoquent la question de souveraineté. Souveraineté ? Au Département d’Etat, le Kivu fait partie du Rwanda ». (Le Potentiel, 11août 2011).
Quand on ne connait pas la nature foncièrement diabolique des dirigeants occidentaux dans leurs rapports avec le reste de l’humanité, ce qui fait de l’Occident un accident dans l’histoire de celle-ci, on serait tenté de croire que Cohen tirait une simple conclusion d’une situation dans laquelle les puissances occidentales étaient totalement étrangères. En réalité, il s’agissait là de l’aboutissement d’une technique de guerre bien rodée. En effet, quand ils veulent assujettir un peuple par les armes, les criminelles démocraties occidentales mènent d’abord la guerre avec des faux concepts. Cet art du mentir-vrai précède et accompagne les coups de canon qu’il prépare ainsi afin que l’opinion internationale applaudisse l’agression ou l’invasion. Ce rôle, nous allons le démontrer tout à l’heure, n’est pas l’apanage des seuls politiques. Tout ce que ces démocraties comptent comme personnes-ressources se mouille la chemise... au nom de l’idée qu’ils se sont toujours fait de leur race, une race des seigneurs qui aurait pour mission de civiliser ou d’écraser les autres peuples.
Préparation de l’autonomie-annexion du Kivu
Ainsi, au sujet du Kivu, de nombreux experts des questions africaines, journalistes et professeurs d’université, ont tenu des propos propres à suggérer que cette région était un « Tutsiland », aspirant à l’autodétermination et que les prétentions des pouvoirs tutsi rwandais, ougandais et burundais sur ce territoire congolais étaient légitimes. Trois jours après l’ouverture des hostilités le 2 août 1998, le professeur belge Gauthier de Villers cultivait l’ambiguïté en écrivant : « Qui dit Banyamulenge ne dit pas forcément Rwanda. Les Banyamulenge sont organisés et ont leurs propres objectifs, comme celui de reprendre le contrôle de leur terroir » (Le Soir, 5 août 1998). Les premiers revers infligés aux forces d’agression l’autorisaient à embrayer sur le même thème : « Le danger d’une partition n’a toutefois pas disparu avec l’entrée en guerre de l’Angola. Le risque s’est en fait déplacé du Katanga vers le Kivu. Les forces angolaises pourront-elles ou voudront-elles reconquérir l’est du Congo, tenu par les rebelles ? C’est peu probable » (Le Vif/L’Express, 28 août 1998).
De façon subtile, la journaliste belge Marie-France Cros créait aussi un territoire propre aux Tutsi congolais, apportant ainsi de l’eau au moulin du rêve expansionniste rwandais. Quand Laurent-Désiré Kabila invita son peuple à résister contre les agresseurs tutsi, elle se posa des questions dont l’unique intérêt consistait en induire les lecteurs en erreur : « Cela veut-il dire qu’il a renoncé à être le Président des Congolais d’ethnie tutsi ? Et, dans ce cas, qu’il va négocier le passage d’une partie de ses concitoyens au Rwanda, avec les terres où ils habitent parfois depuis des siècles ? » (La Libre Belgique, 28 août 1998.).
La même perception semblait être partagée dans les médias français par Frédéric Chambon, Thierry Oberlé et Charles Lambroschini. Le premier ne pouvait parler du Kivu autrement que comme « le pays banyamulenge (des Congolais tutsi d’origine rwandaise) » (Le Monde, 7 août 1998). Pour le second, le Kivu fut également perçu comme « la province des Tutsi congolais » (Le Monde, 7 août 1998). Avec le troisième, on apprenait que « Museveni cherchait à bâtir un Tutsiland regroupant l’ensemble des ethnies nilotiques » (Le Figaro, 24 août 1998). Selon son entendement, les frontières du Tutsiland engloberaient « outre l’Ouganda et le Rwanda, le Kenya, la Tanzanie, le Burundi et les provinces orientales de l’ex-Zaïre » (Le Figaro, 24 août 1998) alors que dans tous ces Etats et provinces, les Tutsi sont infiniment minoritaires.
Le Kivu comme territoire des Tutsi congolais est une vision qui a été également véhiculée par la promesse qu’aurait faite Laurent-Désiré Kabila de donner cette région aux Banyamulenge s’il arrivait au pouvoir. Démentie par Kinshasa, la révélation d’un tel accord par Pascal Tshipata Muteba, ancien chef du renseignement pour le Sud-Kivu de l’Alliance de Kabila, avait néanmoins trouvé un large écho dans la presse occidentale (Lire par exemple L’Echo et Le Courrier de l’Escaut, 6 août 1998 ou Le Vif/L’Express, 25 septembre 1998). Il va sans dire qu’il n’y avait rien sur la stupidité d’une telle promesse.
L’autonomie du Kivu et son objectif ont été évoqués par la journaliste belge Colette Braeckman : « Il se pourrait que le nouveau pouvoir qui risque de prendre la relève à Kinshasa soit moins fort encore que celui de Kabila, et obligé de laisser une vaste autonomie aux provinces. Autonomie, qui fait l’affaire des pays voisins, qui développeront des liens économiques, culturels, voire politiques avec les régions du Congo qui leur seront proches » (Le Soir, 17 août 1998). De son côté, le professeur belge Jef Maton mit son savoir à contribution pour permettre à l’opinion internationale de mesurer l’importance du Kivu non pas pour ses habitants mais pour les trois dictatures tutsi : « L’enjeu du Kivu pour le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda est extrêmement important. Une communauté des Grands Lacs, avec le Rwanda et le Burundi, est un des rêves de Museveni. Avec le Kivu, en plus, il disposerait de l’or mais aussi des métaux précieux employés dans la technologie informatique. Une partie de la région est aussi constituée de forêts et est beaucoup moins peuplée que le Rwanda, par exemple. Enfin, le Kivu est proche de Kisangani. Et Kisangani, c’est le début du fleuve Congo et, donc, un relais avec l’Océan Atlantique » (La Libre Belgique, 13 août 1998).
A-t-on besoin que l’on souligne la convergence entre les propos ci-dessus tenus en 1998 et la suggestion de Cohen à Obama en 2011 ? Tout, mais alors toute l’horreur que le Kivu vit aujourd’hui était préparée à l’avance non pas par la républiquette du Rwanda, mais des démocrates occidentaux dont plusieurs ont succombés depuis longtemps aux délices du « Ruganga », la version rwandaise de la Kamasoutra. Dire qu’il faut décimer les Congolais pour pouvoir continuer à boire dans la cruche des jambes nues de certaines femmes rwandaises, piège dans lequel sont tombés bien de collabos congolais dont Mende Omalanga serait aujourd’hui le représentant le plus illustre.
L’art du mentir-vrai démystifié
Toutes les affirmations sur le Tutsiland que serait le Kivu appellent une première question. Existe-t-il au Congo une volonté politique d’autonomie qui développerait des liens de toutes natures avec les pays voisins ? Un des masques des envahisseurs semblait répondre par l’affirmative. Présenté pompeusement par l’avocat belge Mario Spandre comme « l’idéologue de la révolution banyamulenge », Déogratias Bugera affirmait péremptoirement : « Nous respectons le principe de l’inviolabilité des frontières, mais elles sont artificielles et ne devraient pas entraver le droit des peuples à l’autodétermination » (Le Soir, 11 septembre 1998).
Le mot est lâché : autodétermination. Il nécessite que l’on se pose une deuxième question. Existe-t-il au Congo, en général, et au Kivu, en particulier, une communauté ethnique ayant un territoire bien à elle et aspirant à son autodétermination ? Dans une « contribution à une culture de la paix », le Jésuite Léon de Saint Moulin constate, après avoir examiné la carte ethnique du Congo : « Plus de la moitié de la population appartient à des groupes qui n’ont pas de territoires propres tant soit peu étendus et toutes les ethnies ont des enclaves et des zones de cohabitation. L’administration coloniale qui avait dans les années 1920 tenté la constitution de circonscriptions et même de territoires portant le nom d’une tribu y a rapidement renoncé devant les problèmes qui en résultaient » (Conscience nationale et identités ethniques. Contribution à une culture de la paix, in Congo-Afrique, n° 330, décembre 1998).
Sur la carte ethnique des deux Kivu et du Maniema, qui jusqu’en 1984 étaient des sous-régions de la région (province) du Kivu, « on y repère au premier coup d’œil les Kumu et les Lega, encadrés, au nord-ouest par les Wagenia, les Lengola, les Metoko, les Songola, les Langa, les Ngengele et les Tetela. Au sud et au sud-est, les Binja, les Bangubangu, les Boyo, les Bembe et les Nyintu. Les Bembe ont intégré une série de populations, dont les Bwari. Les autres peuples du Kivu sont, du nord au sud, les Nande, les Nyanga, les Hunde, les Havu, les Shi et les Fulero, parmi lesquels se trouvent aussi les Vira et des Hundi. Seule l’inscription sur la carte des Banya Bwisha, les gens de Bwisha, indique la présence dans cette partie du pays de population de langue kinyarwanda. Ailleurs au Kivu, ces populations [Les Banyarwanda (originaires du Rwanda), Hutu et Tutsi confondus] cohabitent avec les Hunde, les Havu, les Shi, les Fulero, etc. depuis des dates diverses » (Léon de Saint Moulin).
Dans cette mosaïque ethnique, les Tutsi ne représentent même pas 5% de la population totale. Ils « seraient à ce jour évalués à plus ou moins soixante mille personnes au Sud-Kivu sur une population totale de trois millions d’habitants. Au Nord-Kivu, ils peuvent atteindre également le nombre de soixante mille contre cent mille Hutu sur une population totale estimée à deux millions neuf cents mille habitants. Contrairement aux Tutsi Banyamulenge du Sud-Kivu, les Tutsi du Nord-Kivu sont majoritairement issus des vagues de réfugiés rwandais immigrés lors des massacres de 1959, 1961, 1962, 1988 et 1994 » (La guerre d’agression contre la République Démocratique du Congo et l’interpellation du Droit international. Actes des journées de réflexion du 5 au 6 octobre 1998, Kinshasa, Département du Droit Public et des Relations Internationales, Faculté de Droit, Université de Kinshasa, Presses Universitaires de Kinshasa, 1998).
Les autres peuples réunis forment donc une écrasante majorité. S’ils plient aujourd’hui sous la loi du plus fort, des Tutsi du Congo et d’ailleurs armés par des démocraties occidentales, ils sont conscients de leurs droits sur le Kivu. Par ailleurs, leur fidélité à un Congo uni reste intacte. Ils ne sont demandeurs ni d’une autonomie et encore moins d’une sécession. Plus que les autres Congolais, ils récusent de manière particulièrement forte la prépondérance de leurs compatriotes tutsi et l’influence de Kigali sur leur terroir. L’autodétermination peut-elle se justifier dans ce contexte ? Si oui, l’indépendance du Kosovo, peuplé à 90% d’Albanais qui la réclament mais que l’Occident refuse, n’est-elle pas plus légitime que celle du Kivu ? En fait, la suggestion de Cohen ne signifie rien d’autre que le droit reconnu aux élites Tutsi de dominer celles des autres ethnies, sans doute au nom de leur « supériorité raciale » fabriquée par le pouvoir colonial belge. Cohen l’avait déjà annoncé bien avant la deuxième guerre partie de l’est congolais en août 1998 : « Le Rwanda affirme que le Kivu oriental doit être en des mains amicales et les seules mains sont tutsi » (Davies, K., Workers report fighting in Congo, Associated Press, Nairobi, 10 September 1997). Faut-il encore chercher l’artisan et la raison d’être du Kivu martyrisé et du Congo humilié ?
Epilogue
Pour qui connait tant soit peu les techniques de propagande occidentale en temps de guerre, l’hécatombe du Kivu était connue d’avance. Mais nos dirigeants ne l’ont pas vu venir. Parce que le drame du Congo est que son destin, depuis l’indépendance, se joue dans un cercle vicieux. Le changement d’homme au sommet de l’Etat ramène toujours celui-ci à la case départ. Tout est éternel recommencement et tout se passe au rythme du « ôtes-toi de la que je m’y mette ». Aussitôt que l’impérialisme occidental hisse un Congolais à la présidence de la république, celui-ci s’imagine devenu spontanément une foudre d’intelligence qui doit dicter sa volonté au peuple. L’Etat n’existe pas. Seul l’homme fort existe. Un homme-Etat qui réduit de ce fait la Constitution du pays à un simple chiffon de papier. De même, les hauts commis de l’Etat n’existent pas. Seuls les courtisans existent. Quant à l’intérêt public, il n’existe que quand les intérêts privés du prince du moment et de ses courtisans sont menacés de l’intérieur ou de l’extérieur. Les jouisseurs découvrent alors comme par enchantement que l’Etat appartient à tous et lancent aussitôt des appels à la mobilisation et à la résistance du bon peuple pour sauver la nation, réduite à la caste enchanteresse des hommes du pouvoir.
Sortir du cercle vicieux, tel est le défi qui devrait mobiliser les Congolais soucieux du devenir de leur nation. Ce n’est pas en créant des partis politiques qu’on y parviendra, car les partis, tout le monde le sait, sont le règne des hommes forts à une échelle réduite. On ne peut briser ce cercle vicieux qu’en construisant enfin l’Etat. Pour que son destin ne soit jamais confondu à celui d’individu, fut-il baptisé Guide éclairé, Mzee, Raïs ou encore Moise-Sauveur. L’avènement d’un homme providentiel peut certes aider le peuple à construire l’Etat. Mais le peuple lui-même peut aussi se saisir d’un de ses rendez-vous (futurs) avec l’histoire pour engager une réflexion en profondeur sur le vivre ensemble, laquelle réflexion entraînerait l’extinction de la race d’hommes forts. Encore faut-il que le peuple prenne conscience que l’Etat au Congo n’est qu’illusion. Les colonisateurs sont partis ou passés en coulisse. La structure du Congo belge, elle, demeure intacte. A cet égard, sans le despotisme et le sens de responsabilité colonial, le Congo ne peut être que le bateau ivre qu’il est depuis le 30 juin 1960. Il est urgent que le Congo congolais émerge de nos souffrances. Et il n’y a pas mille et une manières d’y parvenir. On doit créer l’unité réelle du pays en partant de la diversité de son tissu social. Pour que la Constitution soit opposable à tous. Pour que l’intérêt général cesse d’être la somme des intérêts particuliers d’une infime minorité de jouisseurs. Pour que la peur de la sanction devienne le début de la sagesse. Pour que celle-ci cultive le sens de responsabilité. Et qu’à son tour ce sens donne à l’Etat les outils nécessaires qui lui permettraient de se projeter, d’anticiper et de conjurer le mauvais sort. Il y a d’autres atouts que le « Ruganga » pour qu’un pays convoité comme le nôtre soit à l’abri des turbulences dans le face-à-face inégal avec les criminelles démocraties occidentales.
Aux Congolais colonisés jusqu’à la moelle des os et qui ne peuvent comprendre l’avantage de construire notre Etat et notre système démocratique sur une base régionale, nous posons aujourd’hui des questions simples. Primo, quelles seraient les chances du Rwanda ou de n’importe quel autre pays d’infiltrer le gouvernement congolais « au niveau tant provincial que national, au niveau de l’armée, des régions militaires, de la police, de la douane et des services de renseignements et d’immigration » si nos régions étaient élevées au statut d’institutions politiques à travers des caucus ; si les élections présidentielles se jouaient d’abord au niveau de chacun de ces caucus pour ne retenir que le meilleur candidat de chaque région, ensuite à celui de l’ensemble des caucus pour ne retenir que les trois meilleurs candidats, et enfin au suffrage universel direct qui ne déboucherait sur aucun perdant véritable, mais conduirait le troisième candidat à la présidence de l’Assemblée nationale, le deuxième à la présidence du sénat et le troisième à la présidence de la république ; si le gouvernement national était formé d’un nombre égal de ministres par région ; si dans la formation du gouvernement national le chef de l’Etat devait puiser dans des assiettes des candidats ministrables sélectionnés au préalable par les différents caucus ? Quelles seraient les chances d’un Congolais de père et de mère tutsi rwandais de franchir la première étape des élections présidentielles dans la tenue de camouflage d’un Katangais ? Répondre honnêtement à ces questions, c’est déjà remettre en question le modèle politique que nous copions aveuglement de l’Occident, toujours pour notre plus grande désillusion.
Avec un peu d’intelligence et de bon sens, le Congo, fort de son long martyr et de ses interminables périodes de transition, aurait pu éviter la parenthèse la plus honteuse de son histoire, sa colonisation par le Rwanda imposée par les criminelles démocraties occidentales, les Etats Unis en tête.
Nkwa Ngolo Zonso
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